Partez en vacances, plusieurs semaines, sans regarder Slack ni vos mails, quand vous êtes lead !
18 août 2022 —Un de mes premiers chefs répondait plus souvent et plus rapidement aux mails quand il était en congés que quand il travaillait officiellement1.
Une réaction seulement en fin de journée ? Nous savions qu’il dépilait après son tunnel de réunions. Un retour dans les dix minutes ? Il était en vacances et n’avait pas de meetings !
Nous trouvions ça marrant, original. Peut-être triste aussi. Mais nous pouvions compter sur lui. Avec le recul, nous comptions sans doute un peu trop sur lui !
Une petite dizaine d’années plus tard et jusqu’à l’an dernier, j’ai été Lead d’une équipe de 5-6 personnes.
Pendant ce temps, je suis parti deux fois en vacances chaque année. Deux ou trois semaines à chaque occasion.
Avant de m’en aller, je disais aux membres de mon équipe :
Je pars pour trois semaines, je reviens tel jour.
Je ne regarderai pas (ou très peu) Slack et les mails pros. En cas de besoin, envoyez-moi un SMS au 06 12 34 56 78… Je passerai par ici quand j’aurai vu votre message — mais je n’aurai pas toujours mon téléphone sur moi, donc ça peut être le soir ou le lendemain.
Bon courage 💪
Je disais la même chose à mon manager et aux leads des équipes sœurs de la mienne.
Puis, je changeais mon statut Slack pour indiquer « en vacances », je mettais un message de répondeur sur mes mails et je coupais toutes les notifications, pour être certain de ne pas en recevoir sur mon téléphone perso2.
Ensuite, pendant deux ou trois semaines, je regardais vraiment très peu les messageries pro :
- Je survolais les titres des mails en Inbox tous les deux ou trois jours. Je ne cliquais quasiment jamais dessus3. Et je ne regardais pas du tout ceux filtrés automatiquement (= 90 % des mails que je reçois).
- Je jetais un coup d’œil à Slack une fois par jour (maximum) pour voir si un membre de mon équipe m’avait envoyé un message en privé. Je ne regardais aucun salon. Et surtout pas le salon privé de mon équipe !
Une année, au bout d’une semaine, la pastille rouge de Slack indiquait 62 notifications. Deux semaines plus tard, quand je suis revenu au bureau, encore plus. L’entreprise ne s’est pas écroulée 🤷♂️.
Une autre année, une connaissance qui savait que j’étais en congés m’a envoyé un DM sur Twitter pour me suggérer de lire un mail envoyé par un de ses collègues. Ce mail ne pouvait pas attendre deux semaines et j’aurais raté un truc intéressant si je ne l’avais pas vu à temps. Merci pour ce DM !
Pendant mon absence, est-ce que des choses n’étaient pas faites ?
Et bien, oui : en vacances, il y a des choses que je ne fais pas, c’est la vie.
Typiquement : les 1:1, que je faisais toutes les deux semaines4.
Je ne pouvais pas les déléguer : c’est une des tâches de management que chaque lead choisit de faire (ou non). Tant pis, on saute un tour. En cas d’urgence, mes reports avaient mon numéro — et aucun n’a jamais eu besoin de l’utiliser.
Pour une question technique ou de priorisation pour laquelle les membres de mon équipe auraient souhaité un avis managérial ou transverse ?
Ils pouvaient discuter avec les leads des équipes sœurs de la nôtre — ou avec notre manager commun. Nous nous voyons souvent au café, nous déjeunons régulièrement ensemble, nous nous connaissons. Et discuter en direct, apprendre à présenter une problématique et poser les bonnes questions, ça ne peut faire que du bien.
Pour les tâches que j’étais le seul à traiter, que ce soit par choix ou parce que je ne les avais pas encore déléguées ?
Et bien, si une seule personne connaissait ces sujets, c’est sans doute qu’ils pouvaient attendre quelques semaines5 !
Et, oui, bien sûr, j’ai loupé des conversations, des mails. Mes collègues ont pris des décisions un peu différentes de celles que j’aurais prises si j’avais été là. Ou n’ont pas pensé à certains pièges que j’aurais pu aider à éviter. Ou ont choisi des implémentations différentes. OK. Nous étions une équipe, c’était pour bénéficier de plusieurs cerveaux6 !
Je ne vais pas mentir : déconnecter, c’est difficile !
Surtout la première fois, quand on n’a pas encore cette habitude, quand on ne l’a encore jamais vraiment fait, quand on n’a jamais vu que ça marchait. Peut-être parce que nos chefs précédents ne le faisaient pas.
J’ai eu l’impression, les premières fois, de « laisser tomber », de « laisser tout le boulot aux collègues ». Je me suis demandé comment ça allait se passer. J’ai eu peur de louper des choses7.
Mais, en fait… Ça s’est toujours plutôt bien passé !
Et, avec le recul, c’était tellement bénéfique !
Pour moi et pour mon travail et mon rôle de lead, tout d’abord :
- Je me changeais les idées, je me reposais, je revenais plus en forme.
- Ça m’a forcé à transmettre plus d’informations8 et/ou à mettre plus par écrit avant de partir. Et ça m’a aussi poussé à le faire encore plus au quotidien9 !
- Et ça nous a permis d’identifier des choses qui ne tournaient pas bien en mon absence – pour corriger ou adapter pour les fois suivantes et/ou avant que ça ne devienne vraiment gênant.
Mais aussi, ou, surtout : à chaque fois que je suis parti en vacances sans regarder Slack ni les mails pros, sans intervenir dans les discussions, j’ai prouvé aux membres de mon équipe que je leur faisais confiance !
- C’était l’occasion, pour chacun et chacune, de pratiquer des tâches que je faisais habituellement. Par exemple : être en contact avec nos collègues, qui passaient souvent par moi pour moins interrompre l’équipe.
- Et pour les autres personnes qui essayaient de me contacter en direct ? Puisque je ne répondais pas pendant des heures, jours et semaines et que mon statut indiquait que j’étais en vacances… Et bien, ils allaient faire signe à l’équipe10 !
Enfin, un point primordial et auquel on ne pense hélas pas toujours : la santé, y compris mentale, de chacun et chacune !
Si, moi, lead de l’équipe, suis sur Slack pendant mes congés, je sais que d’autres vont reproduire le même schéma :-/.
Donc, je montre l’exemple et je coupe Slack et les notifications et je n’y passe pas mes journées : quand les membres de mon équipe et mes collègues sont en vacances, je souhaite qu’ils et elles en profitent, sans penser au boulot !
Sans doute, surtout si vous ne déconnectez jamais, vous vous demandez « mais est-ce que ça se passe toujours bien ? »
À chaque retour de vacances, j’ai discuté avec l’équipe et avec chaque individu et avec mon manager pour identifier ce qui s’était bien passé et ce qui avait été plus difficile. C’est comme ça qu’on apprend et qu’on s’améliore11, après tout.
La première fois, alors que l’équipe était encore de taille réduite, j’ai entendu « on ne savait plus exactement quoi faire au bout d’un moment ».
Conséquence, pour les fois suivantes, l’équipe et moi avons préparé plus de stories avant mon départ et nous avons reclarifié nos priorités, pour que chacun et chacune sache vers quoi s’orienter même si le backlog se vidait ou que les stories en haut manquaient de précisions.
Une autre fois, en revenant de congés, j’ai découvert qu’une partie de l’équipe travaillait sur un sujet qui n’était pas prioritaire pour moi.
Je leur ai demandé pourquoi. Et j’ai compris que, lors d’une discussion au café, mon manager, leur N+2, avait dit « il faut faire X ! ». En effet, X était important… Mais pas urgent ! Moins prioritaire que les autres tâches en cours ou celles en haut du backlog de l’équipe !
Nous en avons tiré deux idées importantes :
- Tout d’abord, mes reports ont compris que le chef n’a pas toujours tout le contexte de chaque équipe à l’esprit et qu’il est judicieux, quand un chef leur dit « il faut faire ça », de demander s’il le dit en pensant « un jour, il serait peut-être intéressant de réfléchir à ça pour voir si ça nous apporterait de la valeur » ou s’il veut dire « il faut faire ça tout de suite », en rappelant les sujets en cours pour l’aider à identifier si sa demande est plus prioritaire ou pas.
- Et, dans l’autre sens, j’ai discuté avec mon chef pour lui rappeler que la voix du chef a un impact. Et j’ai re-réalisé que, moi aussi, je m’étais déjà fait avoir en disant des trucs qui ont été pris comme « le chef a dit »…
J’ai été lead de cette équipe pendant quatre ans et je n’ai reçu qu’un seul SMS pendant mes plus de 25 semaines de congés.
Il venait d’un autre lead : un recrutement en cours dans mon équipe avait avancé côté RH et attendait un retour. J’ai ouvert Slack, j’ai discuté quelques minutes, puis je suis reparti en vacances.
Il était normal, selon moi, que j’intervienne : la décision à prendre entrait dans mon rôle de lead et personne d’autre que moi ne pouvait légitimement dire « Go ». Si j’avais été injoignable, notre RH aurait demandé au candidat de patienter deux semaines, mais ça n’aurait pas été très sympathique — et nous l’aurions peut-être perdu.
Avant de terminer, une parenthèse en dehors des vacances.
Je suis moins bon sur ce sujet en semaine ou les weekends. La coupure est moins franche. Le pic d’activité sur notre plateforme est en soirée, aux environs de 21 h, cela n’aide pas ;-)
Je fais toutefois des efforts, en particulier pour montrer l’exemple et que mes collègues ne se sentent pas obligés d’être connectés en permanence et se reposent. Je réponds donc que très peu sur Slack, même quand je vois une notification. Et, au lieu d’envoyer certains messages quand je les écris, je les programme, quand j’y pense, pour le lendemain matin.
Mais les bonnes habitudes se prennent aussi pendant la journée !
Même pendant les horaires de boulot, je ne suis pas toujours sur Slack. Même quand j’étais lead d’une équipe, il m’arrivait de dire en morning meeting « je fais X aujourd’hui et j’ai besoin d’être focus sur cette tâche, je ne serai pas disponible sauf urgence ».
Lorsque je suis en réunion, je ne suis pas maladivement en train de suivre ce qu’il se passe sur Slack ni en train de répondre ou de discuter ! Je suis focus sur le sujet de ma réunion — sinon, ça ne sert à rien d’y aller !
D’ailleurs, ne pas toujours être là, j’ai plaisir à croire que ça a aidé les membres de l’équipe à prendre des habitudes, à progresser, à travailler en autonomie12. Et puis, si je recrutais des gens intelligents, c’était pour qu’ils et elles bossent et aient des idées sans que je sois derrière tout le temps !
Pour conclure : déconnectez pendant vos vacances !
Même — ou encore plus — si vous êtes lead d’une équipe !
Faire une coupure, ça vous fera du bien.
Penser à autre chose qu’au boulot pendant trois semaines, ça libère l’esprit !
Mais aussi et surtout, se retrouver quelques semaines sans leur lead, c’est très bon pour une équipe et ses membres. Chacun et chacune vont progresser, vont gagner en autonomie, vont réaliser qu’ils et elles sont bien plus qu’une simple roue dans la machine !
Après que j’aie publié cet article, Boris m’a soufflé que la déconnexion est un droit établi par le Code du Travail, Article L2242-17, §7, et que les entreprises ont l’obligation de prévoir des dispositifs en conséquence.
Source de l’illustration de cet article : Ethan Robertson sur Unsplash
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Est-ce que j’exagère un peu ? Sans doute… Cela dit, pour que je m’en souvienne 15 ans après, il doit y avoir un fond de vérité, ça a dû arriver au moins quelques fois ! ↩︎
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Oui, j’ai slack et les mails pros sur mon téléphone perso (chiffré). Je les regarde assez peu, mais c’est parfois pratique. Seuls les messages privés et les pings explicites générent des notifications — et ce sont des notifications silencieuses, je ne les vois que si je vois l’écran s’allumer, elles ne font aucun son ni vibration. Pendant les vacances, je coupe ces notifications. Il m’est même arrivé de supprimer les applications Slack et GMail. ↩︎
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Ces deux dernières années, je me souviens avoir lu pendant mes vacances un mail parlant d’adaptations des conditions de travail à cause du Covid, pour savoir sous quelles conditions mon retour au bureau se passerait. Mais pas beaucoup d’autres mails lus ^^. ↩︎
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Ou celui que je fais toutes les deux semaines avec mon manager, d’ailleurs. ↩︎
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En tant que lead, si l’équipe avait des tâches qu’une seule personne sache traiter, comment aurions-nous fait en cas d’absence imprévue ? Dans un monde idéal où j’aurais bien fait mon boulot, l’équipe — et pas un individu en particulier — est responsable de ses tâches. ↩︎
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« Ils n’ont pas fait comme j’aurais fait », c’est une remarque que je me suis fait plusieurs fois après être devenu lead. Et je sais que d’autres ont dit exactement la même chose ! Et c’est un des challenges de ce poste, surtout quand on débute : admettre que d’autres approches que la sienne peuvent fonctionner, tout en réussissant à guider l’équipe vers une bonne solution — ce qui, parfois, nécessite de « les laisser se planter ». Ça mériterait un article entier ^^ ↩︎
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Dans une vie précédente, alors que j’étais contributeur individuel : une fois, j’ai téléphoné à un collègue pendant ses vacances. Je devais déployer notre application en production pour la première fois (c’est lui qui s’en chargeait toutes les semaines, en temps normal) et impossible de trouver comment faire… Et je n’avais pas très envie d’essayer un peu tout et n’importe quoi jusqu’à ce que ça marche, au risque de tout casser… Le bon côté est que nous avons vite compris que les documentations étaient insuffisantes — et qu’effectuer ce déploiement une fois en pair avant son départ aurait été judicieux ! Depuis, plus personne n’a jamais été dérangé pendant ses congés pour livrer un projet sur lequel j’aie bossé ! ↩︎
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Conséquence : si je ne suis pas au bureau pour quelques jours (pour cause de maladie, de conférence) ou si je suis totalement occupé sur une autre tâche, ça marche mieux même en dehors des vacances ! ↩︎
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Dans mon équipe, nous encouragions au maximum nos autres collègues à parler à l’équipe via un salon et un alias (une approche à propos de laquelle je pourrais partager quelques idées 🤔) et pas à s’adresser à une personne spécifique en privé. Objectif : éviter d’être interrompu toutes les cinq minutes par des demandes extérieures alors qu’on essaye de se concentrer sur une tâches. ↩︎
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Les rétrospectives et identifier comment s’améliorer, pourquoi est-ce que ça devrait être limité aux sprints ? ↩︎
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Apprendre à chacun et à chacune que c’est à elles et eux de demander de l’aide ou un avis lorsqu’ils en ont besoin, je pense que c’est les responsabiliser, les faire gagner en autonomie. Alors qu’aller voir toutes les dix minutes en demandant « tu en es où ? Tu as besoin d’aide ? », c’est un peu infantilisant. Bien sûr, j’ai un biais et je considère peut-être un peu trop que ma façon de travailler et mon état d’esprit s’appliquent à tout le monde… Pour aider à trouver un certain milieu, je disais souvent que chercher 1/2 heure par soit même faisait partie du boulot, et que demander de l’aide pour ne pas rester bloqué 1/2 journée faisait aussi partie du boulot. ↩︎