Un an de flex-office
18 juillet 2022 —Mon employeur a pris possession de nos nouveaux locaux il y a bientôt deux ans. Nous y travaillons en flex-office : chacun, chacune, en arrivant le matin, s’assoit où il ou elle veut, pour peu que la place soit libre.
À cause du Covid, nous n’avons repris un rythme « aller au bureau » normal que depuis environ un an. J’en ai parlé quand j’ai dressé mon bilan de un an de pire-que-du-télétravail.
Depuis, plusieurs fois, on m’a demandé ce que je pensais du flex-office, comment ça se passait. Après un an, je commence à avoir un peu de recul et à y voir du positif… Et du négatif.
Télétravail, présentiel et open-space
J’ai droit à 65 jours à distance par an1, soit en moyenne 1,5 jour par semaine. Cette année, j’en ai dépensé un tout petit peu plus de la moitié, dont une partie pour protéger mes proches et moi-même. Entre février2 et juin 2022 inclus :
- j’ai consommé 17 jours de télétravail3 ;
- je suis allé 63 jours au bureau.
J’ai donc effectué 21 % de mon activité à distance et 79 % en présentiel. Sur ces cinq mois, j’ai également passé 4 jours en conférences et 19 jours en congé.
Au fil des années4, j’ai appris à me connaitre et j’ai réalisé plusieurs choses :
- J’apprécie « me sentir chez moi ». Mon bureau5 avec mon bordel dessus, mon espace auquel je suis habitué, mon mug et pas une tasse anonyme…
- Mon cerveau animal hurle quand quelqu’un passe autour de moi. Ou, pire, derrière moi. Même si c’est de l’autre côté d’une paroi vitrée6 !
- Je suis sensible au bruit et aux interruptions. J’ai du mal à me concentrer et à réfléchir si deux personnes discutent à quelques mètres de moi. Même si ça dure une heure entière !
- Et j’ai, hélas, assez tendance à suivre les règles.
Vous l’aurez compris : je ne suis pas fan des open-spaces. Pour moi, ils ne sont pas adaptés à du deep work7 — qui ne représente certes pas l’intégralité de mon activité, mais tout de même une bonne portion…
Le flex-office : du positif !
Quand j’explique le concept de flex-office, je lis de la surprise, de l’incompréhension, de l’inquiétude ou même de l’effroi dans les yeux de mes interlocuteurs. Toutefois, avec le recul et l’expérience, j’ai identifié des bons côtés théoriques et des avantages pratiques.
Tout d’abord, pouvoir — ou devoir — s’assoir à un bureau différent chaque jour : c’est l’occasion d’être à proximité de collègues et d’équipes distinctes. Cela permet d’entendre des choses, des questionnements, d’observer comment chacun travaille. Et je peux parfois apporter de l’information ou guider des compagnons et nos projets.
Je vois tout à fait l’intérêt pour une personne dont le rôle inclut des préoccupations transverses, comme une manager ou une experte technique8.
J’admets que les points d’équipe, les rétrospectives de sprints et les discussions autour d’un tableau blanc devraient permettre à chacun et chacune d’écouter ou de partager. Cela dit, dans de nombreuses organisations, sans être proche des collègues, on n’entend pas certaines choses — ou elles sont déformées avant d’arriver jusqu’à nous.
Ensuite, un immense avantage de ne pas être cantonné à un bureau unique, c’est qu’on peut s’assoir autre part !
S’il y a trop de bruit dans un openspace, on peut s’installer dans un autre9. Même chose quand la climatisation, réglée par espace, déraille, on peut se réfugier ailleurs10 !
Enfin, avec une vision limitée, naïve ou idéaliste, et fausse : puisque chaque employé s’assoit où il le souhaite en arrivant, le flex-office serait un moyen d’équilibrer. Ce ne seraient ainsi pas toujours les mêmes qui bénéficieraient des bonnes places11.
Mais, en pratique, les seules personnes qui peuvent réellement choisir leur place sont celles qui arrivent tôt. Et tout le monde ne peut pas — ou ne veut pas — arriver tôt. Pensez aux horaires de trains, aux enfants à accompagner à l’école, ou à celles et ceux qui ne souhaitent pas bosser une heure de plus le matin.
Mais aussi, le flex-office : des points négatifs !
D’un autre côté, et c’est peut-être la raison pour laquelle vous lisez cet article, le flex-office vient avec sa part de points négatifs voire pesants à mes yeux.
Première chose : nous ne pouvons pas réserver un ilot12 pour une équipe.
Je le sais, j’ai essayé de le faire pour mon équipe le premier jour de notre retour au bureau…
Et on m’a corrigé, plusieurs fois, en me disant que non, ça ne se fait pas et que chaque personne qui arrive s’installe où elle veut.
OK, c’est le principe du flex-office…
Mais le résultat, ce sont des collègues de la même équipe, qui œuvrent ensemble, qui viennent dans les locaux… Et qui passent la journée en vidéocall alors qu’ils et elles sont à quelques dizaines de mètres les uns des autres. Ce n’est pas agréable pour elles et eux — et je vous laisse imaginer l’ambiance dans l’open-space, sans jamais un instant de calme. Et pendant l’heure des morning meetings, impossible de bosser.
Ensuite, la souplesse… Pas tout le temps et pas pour tout le monde 🤷♂️.
J’ai entendu, plusieurs fois, des remarques comme celles-ci :
- « On recrute, donc on a besoin de bureaux et proches de nous, donc tu es gentil, mais salut » — ça me semble logique et je le comprends bien : les personnes qui bossent ensemble veulent être assises ensemble. Ou alors, aucun intérêt à venir au bureau et autant télétravailler.
- « Notre PO est là aujourd’hui, il faut qu’il soit avec nous, donc salut » — effectivement, un product-owner qui fait le voyage depuis Paris, c’est dommage s’il n’est pas installé sur le même ilot que son équipe. Même si, le temps d’effectuer le trajet, il arrive à 10 h, après moi.
- « Mon équipe entière est là aujourd’hui, donc ça serait sympa si tu allais ailleurs, pour qu’on puisse être ensemble » — idem : aucun intérêt à venir au bureau si l’équipe se retrouve éclatée sur trois open-spaces différents !
Oui, on m’a dit ces trois remarques, plusieurs fois pour certaines, en moins de trois mois.
Je suis sans doute trop gentil, mais quand on me lance ça, je laisse le siège et j’essaye d’en trouver un autre.
Après tout, je suis là pour que mes collègues puissent travailler efficacement.
Cela dit, après des « demain, on a besoin de la place », je me suis plusieurs fois réveillé à 4 h du matin13 en me demandant « où est-ce que je vais m’assoir ? Est-ce que je vais dénicher une place qui me permette de bosser ? ».
Donc fatigue dès le matin et humeur un peu (╯°□°)╯︵ ┻━┻ toute la journée 😫
Le simple concept de « premier arrivé seul assis »14, aussi, est un peu hasardeux, je pense.
Quand quelqu’un arrive tard, il ou elle n’a pas toujours de place proche de ses collègues.
Un membre d’équipe peut donc, des fois, se retrouver à un autre étage ou sur un autre open-space…
Je n’ai pas encore observé de situation où une âme soit rentrée chez elle parce qu’elle n’avait pas trouvé de bureau.
Mais j’ai vu et vécu des cas de personnes qui se sont retrouvées dans un autre open-space que leur équipe.
Comme je disais plus haut, pour certains rôles, ça a du positif.
Mais pour d’autres, pour la majorité des développeurs et développeuses notamment, qui travaillent souvent en équipe, pas tellement… Sans compter la frustration en début de journée !
Le flex-office, dans la pratique
Quand une entreprise vit une phase de forte croissance ou quand de nombreux employés veulent être à distance une part importante du temps, je ne suis pas surpris qu’il n’y ait pas assez de bureaux pour tout le monde.
Encore moins lorsque des collègues sont en visite depuis une autre ville.
Avec 1,5 jour de télétravail possible par semaine, il me semble normal que chaque place puisse servir à plusieurs personnes. Voilà pourquoi j’ai commencé cet article en parlant de télétravail.
Cela dit, ça ne fonctionne pas si des gens laissent leurs affaires15 sur leur bureau, surtout les jours où elles sont à distance.
Quand c’est le cas, une personne qui arrive le matin ne sait pas si elle peut s’installer ou non.
Théoriquement, en flex-office, tout devrait être rangé tous les soirs — nous avons d’ailleurs des casiers pour cela.
Et, oui, ça prend du temps. Matin et soir. Et c’est lassant. Je le sais : je l’ai fait pendant un moment16.
La dernière fois que j’ai travaillé en présentiel17, entre 1/3 et la moitié des bureaux n’étaient pas débarrassés autour de moi. Je ne savais donc pas, en arrivant le matin, si je pouvais m’y installer ou si quelqu’un allait revenir de la salle de pause ou d’une réunion. Je m’assoie où, du coup ?
Aussi, beaucoup d’équipes se sont, de fait, affecté un ilot.
Entre les habitudes de chacun et le non-suivi des règles18, certaines équipes arrivent à se retrouver.
Elles ne respectent ainsi pas la logique du flex-office.
Et c’est plutôt bien pour elles ! Mais moins pour les autres.
La fiche Wikipedia « Sans Bureau Fixe », vers laquelle j’ai déjà lié plus haut, dit :
Les conséquences peuvent entraîner la fragilisation du collectif de travail et un moindre attachement du salarié à l’entreprise qui l’emploie.
Un peu dommage, non ? La section risques de la page mérite aussi lecture…
Mon idéal ?
Vous noterez que je n’ai parlé dans cet article que de mon point de vue, personnel.
Et tout le monde n’est pas comme moi. Heureusement, peut-être 😅.
D’ailleurs, je n’ai pas tant fait de flex-office que ça moi-même. Je retourne souvent sur un ensemble réduit de sièges. M’assoir à un endroit différent chaque jour n’est pas réellement compatible avec la façon dont je pense à mon bureau ni avec mon besoin de me sentir à ma place / chez moi.
J’en ai discuté avec des collègues, au café ou ailleurs, bien sûr.
Je sais que certains et certaines apprécient le flex-office, aiment la surprise et se sentir plus libres, aiment changer de voisins et voisines. Et je sais aussi que d’autres trouvent cela très inconfortable 😟
Je ne pense pas, comme d’autres, que « plus de remote » soit une solution magique. D’ailleurs, le flex-office n’est-il pas une conséquence du télétravail partiel ?
Ma vision serait plutôt « tout le monde en télétravail » le même jour, ou « personne à distance » un jour fixe. Je pense que ce serait préférable à un mix chaotique, où tout le monde est en call au milieu de l’open-space et où la moitié des gens en réunion sont un peu exclus.
Conséquence ?
Il faudrait de grands bureaux. Pour accueillir tous les employés aux moments où tout le monde y est !
Mais ce n’est pas compatible avec l’idée de réduction ou de minimisation de couts que beaucoup d’entreprises ont…
Au-delà du flex-office, il reste aussi et surtout la plaie qu’est l’open-space 😧.
C’est peut-être le pire endroit pour travailler19 à des tâches qui exigent de la réflexion et de la concentration, avec son bruit permanent et ses distractions incessantes… Sans parler des maladies, qui se propagent d’un ilot à l’autre au fil des semaines !
Qu’ai-je à proposer qui serait mieux ?
- 🤷♂️ Des espaces fixes pour les personnes qui sont en présentiel plus de 75 % du temps ?
- 🤷♂️ Des bureaux, individuels ou pour deux à quatre personnes ? Qu’on puisse fermer ? Complétés par de nombreux espaces, bien placés, de rencontre et d’échanges ?
- 🤷♂️ Peut-être une pièce20 par équipe ? Cela aiderait sans doute à réduire les distractions interéquipes ?
- 🤷♂️ Conserver une place libre sur chaque ilot, utilisable souplement par les personnes de passages ou présentes moins de 25 % du temps ?
Restent les rôles transverses, dont beaucoup de fonctions de management et d’expertise, qui entendraient moins « ce qu’il se dit » et auraient peut-être plus de mal à prendre la température et à identifier de futurs problèmes…
Source de l’illustration de cet article : Shridhar Gupta sur Unsplash
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Je préfèrerais une approche plus adulte, où chacun(e) télétravaille comme il ou elle juge adapté, peu importe le nombre de jours. Mais je sais que ça ne marchera pas toujours et j’ai décidé de me concentrer sur d’autres combats. D’ailleurs, quand j’ai signé mon contrat il y a presque cinq ans, je n’avais droit à aucun moment de travail à distance et le (non-)télétravail n’était pas un de mes critères de choix. ↩︎
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En janvier 2022, nous avons fait beaucoup de « télétravail du Covid ». Je compte donc seulement à partir de février, une fois revenu en conditions normales. ↩︎
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17 jours de télétravail ou, plutôt, 34 demi-journées. En effet, j’ai plusieurs fois télétravaillé un matin ou une après-midi, en étant au bureau l’autre moitié de la journée. Même chose pour le comptage des moments en présentiel, d’ailleurs. ↩︎
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Ça fait plus de 16 ans que je travaille, je commence à me connaitre un petit peu ;-) ↩︎
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Ça s’applique aussi chez moi, dans une certaine mesure : une fois, alors que je recevais de la famille, que je leur avais dit qu’ils pouvaient faire un peu ce qu’ils voulaient dans la pièce de vie, la cuisine et la salle d’eau, j’ai presque sorti mon oncle de mon bureau où il s’était assis, en mode « heu non, là, c’est mon bureau » 😂. Le truc marrant, c’est que je ne m’en suis pas rendu compte sur le coup, c’est ma maman qui m’en a parlé après 😨. ↩︎
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Dans nos anciens locaux, j’ai pendant un moment été dos à une paroi vitrée. De l’autre côté de la vitre, un couloir. Chaque fois que quelqu’un passait derrière moi, mon attention était titillée deux fois : lorsque mon collègue surgissait dans mon champ de vision à droite, puis quand il réapparaissait à gauche. Puisque ce couloir menait à la porte de la salle de pause, il était bien fréquenté… Pas optimal pour travailler concentré ! ↩︎
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J’aime beaucoup cette notion de Deep Work, que je tire du livre « Deep Work » de Cal Newport. ↩︎
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J’ai moi-même été lead (technique + managerial) d’une équipe DevOps pendant trois bonnes années, et je suis désormais Principal Engineer avec un rôle technique transverse. ↩︎
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Bien sûr, si tous les open-spaces sont bruyants à un moment ou à un autre de la journée, vous finirez par passer plus de temps à vous déplacer qu’à ne pas réussir à vous concentrer. OK, j’exagère. Peut-être. Un peu. ↩︎
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La configuration de la température idéale, c’est une bataille de tous les jours, depuis aussi longtemps que je me souvienne ! Je souffre plus de la chaleur que de la fraicheur, donc j’ai tendance à fuir les open-spaces où la climatisation est en panne ou déréglée, pour aller me réfugier sur celui où il fait meilleur. ↩︎
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Les meilleures places ? Près de la fenêtre, loin du couloir, dans un coin de l’open-space. Ou à un bureau sur lequel un écran de gamme supérieure est posé. Peut-être contre un radiateur, à côté de collègues sympathiques. Ou à bonne distance d’un collaborateur ou d’une collaboratrice désagréable… ↩︎
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Un « ilot » : quatre ou six bureaux qui se touchent. ↩︎
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4 h du matin, c’est aussi l’heure à laquelle le stress me fait me réveiller lorsque je vais donner une conférence dans la journée… ↩︎
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J’avoue, la formulation « premier arrivé seul assis » est un poil exagérée, sans doute plus ressentie que vécue. À l’échelle de l’entreprise du moins. ↩︎
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Il y a quelques jours, en tournant simplement la tête, j’ai vu : mugs, claviers, souris, papiers, stylos, bouteilles, bonbons, fléchettes de pistolets nerf, bougies d’anniversaire, infuseur à thé, peluches, verres, casques audio, pile de DVDs… ↩︎
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Je ne le fais plus lorsque je suis au bureau deux jours de suite, puisque j’arrive dans les premiers (= peu de collègues se demandent, avant mon arrivée, si le bureau est libre ou non) et pars dans les derniers (= peu de collègues voient mes affaires qui restent là) et que beaucoup d’autres ne le font pas… ↩︎
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OK, c’était le 15 juillet. Un vendredi de pont… Et 90 % des bureaux sont restés vides toute la journée ! Au moins, à trois personnes — dont des collègues discrets / discrètes — sur un plateau de trente places, c’était calme 🎉. ↩︎
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Par exemple, certaines équipes décorent — beaucoup — leur ilot. Dans les faits, il devient donc réellement « leur » ilot. Et je ne leur en veux pas, c’est plus agréable pour bosser ! Mais ça protège aussi cet ilot du principe de flex-office ! ↩︎
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J’allais ne pas parler de bosser dans un café, pensant que c’est presque inimaginable pour moi… Mais, si les conversations autour sont sur des sujets qui ne me concernent pas, peut-être que j’y prêterais moins attention et que j’y serais mieux qu’en open-space ? ↩︎
-
OK, un bureau quoi. ↩︎